L'étude contient maintenant un complément (Epilogue) faisant la synthèse sur les avancées obtenues de la part de la Ciase à la suite des critiques émises à son encontre et montrant que les choses évoluent dans la voie à laquelle ce site appelait.
Ce complément est aussi téléchargeable en PDF.
1 - Synthèse de l'étude
Le rapport de la CIASE[1] a marqué les esprits grâce aux chiffres chocs annoncés et aux témoignages poignants de victimes marquées à vie. Il constitue une indéniable somme documentaire de référence[2] sur cette face très noire de la vie de l’Eglise et nous a permis d’entendre la souffrance des victimes.
Cependant, tout en reconnaissant l’extrême gravité et le caractère massif des crimes commis depuis 70 ans, il semble nécessaire de remettre en perspective les analyses et conclusions de ce rapport :
- Les analyses de la CIASE négligent très fortement le changement d’attitude de l’Église intervenu dans les années 1990 et en particulier à son sommet sous l’action du cardinal Ratzinger, action qu’il a poursuivie en tant que pape (de 2005 à 2013), et bien sûr par le pape François ensuite. En conséquence, l’immense majorité des analyses et conclusions semblent s’adresser à l’Église des années 1950 à 1980, en particulier l’évidence partagée par les auteurs du rapport que le phénomène serait systémique et ce encore dans l’Église aujourd’hui.
- Le caractère systémique n’est bien sûr justifié par aucun texte de l’Église, ni aucune des règles du droit canon. Au contraire, cela constitue un crime abominable (cf. Matthieu 18:6 ou le Catéchisme de l’Église catholique § 2389). En portant ainsi la faute sur la structure[3], la commission néglige très fortement la notion de péché personnel, que ce soit celui des abuseurs par esprit de luxure ou des clercs qui les ont protégés par lâcheté et peur du scandale. Ainsi la commission choisit délibérément de ne pas appliquer la grille d’analyse permise par la tradition chrétienne afin de reprocher à l’Église de ne pas être capable de prendre en compte le problème. C’est donc au prix d’un double mensonge (l’incapacité à traiter le phénomène dans la pratique et à le critiquer correctement dans les catégories issues de la tradition de l’Église) que la commission parle de phénomène systémique.
- Le niveau exceptionnel de l’évaluation des abus (216 000 pour les prêtres) issu du sondage diligenté par l’INSERM[4] mériterait une revue critique et une mise en cohérence avec les autres modes d’études utilisés par la commission, appel à témoins et exploitation des archives[5]. Il est en particulier troublant que la CIASE ait délibérément choisi le chiffre le plus haut dans ses conclusions et la communication faite au grand public. Par ailleurs, il serait souhaitable de ne pas induire d’amalgame entre abus et viol (un tiers des cas sont des viols).
- Au-delà de ces réserves, nous ne disposons pas à ce stade d’éléments totalement fiables permettant de contester l’ordre de grandeur donné, contrairement à ce que certains analystes catholiques expliquent. Cependant, celui-ci est d’une part à mettre en rapport avec le nombre total d’abus dans la population évalué selon la même méthode (5 millions) et d’autre part largement expliqué par un facteur occulté dans la quasi-totalité des communications autour du rapport : la très forte proportion d’abuseurs de tendance homosexuelle/bisexuelle et le système de protection que cela induit dans le clergé. Ce phénomène est mentionné incidemment dans le rapport, mais aucune recommandation n’en est tirée parmi les 45 formulées. Ceci est à comparer avec l’action de Benoit XVI qui a émis - dès la première année de son pontificat - une instruction en ce sens extrêmement critiquée car jugée homophobe.
- Aussi, les 45 recommandations, même si certaines d’entre elles ne posent pas de difficulté, sont globalement insuffisantes, et parfois inadaptées :
- Certaines recommandations en s’adressant à l’Église d’hier, sont déjà mises en œuvre aujourd’hui.
- En ayant occulté une cause majeure de la trop forte prévalence des abus dans l’Église, les auteurs du rapport se sont privés d’émettre des recommandations utiles.
- Au contraire, certaines recommandations émises tiennent plus à des biais idéologiques (particulièrement marqués dans le rapport de l’INSERM/EHESS) ou une attente de réforme hors de propos : Ainsi il est proposé une remise en question de certains points de la théologie, de la doctrine ou des règles qui sont sans rapport avec la question des abus. L’exemple du sacrement de confession – seul point sur lequel Mgr de Moulin-Beaufort, Président de la Conférence des évêques de France (CEF) a réagi - est caractéristique, mais il y en a de nombreux autres.
- De manière générale, le rapport fourmille d’analyses douteuses induites par un biais progressiste, cet article en démonte un certain nombre.
- Par les recommandations émises, la CIASE a totalement outrepassé le cadre de la mission confiée par la CEF et la CORREF, qui avait simplement demandé – outre l’étude historique sur les abus depuis 1950 - d’évaluer les mesures prises depuis les années 2000 pour lutter contre la pédophilie. Ceci est une grave occasion manquée, car le rapport ne permet pas de déterminer les priorités pour renforcer aujourd'hui la prévention en la matière. Ces excès sont cohérents avec l’objectif - teinté d'hubris - que s’est fixé la commission, « sauver le soldat Église » [6], selon ses mots lors de la publication du rapport.
- Nous proposons donc plutôt en conclusion de cet article une relecture pacifiée des travaux de la CIASE. Nous pensons que la protection des personnes se fera en privilégiant les actions de bonne gouvernance à la fois innovantes et conformes à la tradition (parfois oubliée) de l’Eglise et en mettant l'accent sur la question de l’affectivité des candidats au sacerdoce, qui est le seul véritable sujet systémique mis en avant par le rapport.
Note: La présente version du site (18/02/2022) contient quelques éléments complémentaires ajoutés après la réponse de la CIASE à l’Académie Catholique du 8 février 2022 : notes de bas de page en synthèse et conclusion, addendum aux §3.2, §3.6 et §5. Cette réponse de la CIASE ne remet aucunement en cause la présente étude publiée début février, soit que les arguments nouveaux apportés par la CIASE sont inopérants, soit qu’ils ne font que confirmer ce qui était déjà expliqué ici, ce qui montre qu'une évolution favorable telle que je l'appelle de mes vœux est possible.
L'ancienne version de l'étude reste disponible ici.
Sommaire :
1 - Synthèse
2 - Introduction
3 - Déconstruire la qualification de phénomène systémique telle qu'expliquée par la CIASE
4 - La question de la tendance sexuelle au sein du clergé, le véritable phénomène systémique occulté dans les conclusions de la CIASE.
5 - Dénoncer le caractère « systémique » pour remettre en cause l’institution était un immense coup de bluff
6 - Conclusion
L'analyse complète est disponible en naviguant sur le site ou en téléchargeant le document :
[1] Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Eglise
[2] A noter en particulier les travaux de l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes), qui a réalisé une analyse socio-historique de grande qualité : https://www.revueciase.fr/images/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Annexe-AN28-Rapport-EPHE.pdf
[3] Cette attaque un peu grosse a été amendée dans la réponse de la CIASE à l’Académie Catholique (cf. § 2 de https://www.revueciase.fr/images/Ciase-8-fevrier-2022-Synthese-reponse-Academie-catholique.pdf) en retirant le mot structurel de la définition qui était pourtant bien présente dans le rapport CIASE.
[4] Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
[5] La CIASE a donné des explications complémentaires sur les chiffres dans sa réponse à l’Académie catholique qui ne remettent aucunement en cause le présent rapport. Au contraire, le groupe statistique (cf. https://www.revueciase.fr/images/Ciase-janvier-2022-Rapport-expertise-groupe-statistique-sur-rapport-Ciase) missionné par Jean-Marc Sauvé arrive à une conclusion similaire à la nôtre : Lui-même ne dispose pas d’élément suffisamment permettant d’infirmer ou de confirmer le chiffre retenu par la commission.
[6] La Croix, le 4/10/2021.